Actualisation
linguistique des opérations rationnelles sous-tendant la technique
argumentative de dissociation
Anca
Gâţă, Université « Dunărea de Jos », Galaţi
La distinction est le cœur de toute argumentation.[1]
L’intérêt conceptuel de la dissociation dans la théorie de
l’argumentation repose sur la place qui lui est donnée dans La Nouvelle
rhétorique (NR)[2].
L’ouvrage se constitue comme une discussion et une élaboration autour des
“moyens discursifs d’obtenir l’adhésion des esprits” (Perelman &
Olbrechts-Tyteca 1958, t. 1er: 10). Dans la troisième partie de leur
NR, intitulée «Les techniques argumentatives», Perelman et Olbrechts-Tyteca
annoncent qu’il faut procéder à une analyse de la structure des arguments
isolés, qu’ils appellent aussi «schèmes argumentatifs», «techniques
argumentatives» ou «schèmes d’arguments» caractéristiques des énoncés (Perelman
& Olbrechts-Tyteca 1958, t. 1er: 251). Tout en précisant qu’un
même énoncé est “susceptible de traduire plusieurs schèmes”, les auteurs
rangent les arguments en quatre grandes classes d’arguments, dont les trois
premiers types sont des «procédés de liaison», à savoir “des schèmes qui
rapprochent des éléments distincts et permettent d’établir entre ces
derniers une solidarité visant soit à les structurer, soit à les valoriser
positivement ou négativement l’un par l’autre” (Perelman &
Olbrechts-Tyteca 1958, t. 1er: 255). Dans la quatrième classe ils
intègrent les techniques de dissociation, qui ont pour objectif la désolidarisation
des éléments communs à une notion. Celles-ci sont à distinguer de la «rupture
de liaison», qui permet au locuteur de s’opposer à l’établissement
d’une solidarité par le biais d’un mouvement argumentatif, de refuser
– par des moyens linguistiques – d’admettre l’existence d’une
liaison antérieurement acceptée, de postuler que des éléments précédemment
associés ne doivent pas l’être. (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème:
550-552) La dissociation apparaît dans le discours en tant que «figure”
argumentative permettant au locuteur de se situer par rapport au monde et au
discours produit. Par rapport au monde, puisqu’elle permet au locuteur de
reconstruire un système de pensée et de réflexion sur le monde; par rapport
au discours produit, puisqu’elle lui permet de (re)placer dans ce discours des
notions et les termes correspondant à ces notions.
Cet
article a pour but de présenter une approche de la dissociation argumentative
du point de vue des opérations rationnelles qui la sous-tendent, telles
qu’elles peuvent être identifiées par les traces discursives. Si la
dissociation est vue comme un procédé discursif qui vise à séparer, à désolidariser
des éléments appartenant à un même système de pensée, elle doit être
aussi conçue comme un processus rationnel reposant sur des opérations que je
tenterai de discuter dans les propos qui suivent.
2. La notion de dissociation
dans la Nouvelle Rhétorique
La
notion de dissociation a été identifiée par les auteurs de la NR comme issue
d’une quête naturelle des sujets parlants: quête de solution d’une
incompatibilité, d’une inconsistance ou d’une incohérence dans la manière
de concevoir les notions. Désignée aussi «dissociation notionnelle», ce
mouvement de pensée et de langage permet au sujet de proposer – à travers le
discours – de nouvelles visions du monde,
correspondant à une construction de notions originales, et de faire fonctionner
les notions ainsi distinguées dans des buts argumentatifs, afin de soutenir une
thèse ou pour la réfuter.
La
nécessité d’éclairer la manière dont on donne des solutions aux
incompatibilités par le biais de la dissociation a conduit le plus souvent à
un examen des situations de communication linguistique. L’examen d’un grand
nombre de discours a permis aux auteurs de la NR de retrouver des traces du mécanisme
dissociatif engendré par l’idée qu’il y a des aspects du monde trompeurs
et des aspects non trompeurs. Les aspects trompeurs relèvent du domaine des
apparences, les aspects non trompeurs relèvent du domaine de la réalité.
C’est l’idée sur laquelle repose la déclaration du couple philosophique
Apparence / Réalité comme prototypique de toute dissociation possible[3].
À l’instant où l’on peut faire la distinction entre apparence et réalité
– ce qui est toujours discutable – on peut examiner de plus près les deux
faces de l’incompatibilité qui se présente à nos sens et donc à notre
esprit, à nos jugements aussi.
La
dissociation comme technique argumentative, telle qu’elle apparaît dans la
NR, repose sur une distinction entre les aspects constitutifs d’une notion qui
semblent incompatibles et qui se contredisent les uns les autres en une certaine
mesure. La dissociation est considérée dans la NR comme un principe, un procédé,
une technique de rupture ayant “pour but de dissocier, de séparer, de désolidariser,
des éléments considérés comme formant un tout ou du moins un ensemble
solidaire au sein d’un même système de pensée: la dissociation aura pour
effet de modifier pareil système en modifiant certaines des notions qui en
constituent des pièces maîtresses” (Perelman
& Olbrechts-Tyteca, t. 1er: 256).
Mais
il n’y a point de mécanisme argumentatif sans raisonnement qui le sous-tende.
Il correspond à la dissociation argumentative, telle qu’elle se révèle dans
le discours, un processus de raison consistant à “distinguer, parmi les
apparences, dont le statut est équivoque, celles qui ne sont qu’apparence, de
celles qui représentent le réel” (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème:
557). Ce qui est connu directement, l’actuel, l’immédiat, l’apparent, est
ainsi distinct de ce qui en est caché, le réel.
Il
faudra ainsi opérer une distinction méthodologique: la dissociation sera
envisagée en même temps comme processus – essentiellement rationnel et plus
difficile à étudier et analyser – et comme résultat de ce processus, se
retrouvant comme produit discursif. Au niveau discursif on peut identifier
certaines traces du processus de raison, correspondant aux opérations
constitutives de celui-ci[4].
Les auteurs de la NR voient la dissociation comme un principe d’organisation
du discours, mais ils font entendre aussi qu’elle repose sur des opérations
essentiellement intellectives.
D’une
manière très simple, on peut dire que l’être humain perçoit le monde à
travers ses sens. L’analyse et l’interprétation rationnelles de ces
perceptions mène parfois à l’identification de diverses incompatibilités
entre les éléments du monde (parmi lesquels on peut inclure, en deuxième
lieu, après ceux de la réalité extérieure, ceux du monde intérieur, des idées,
des sentiments, des émotions, des jugements). Or, la raison tente de résoudre
les incompatibilités en question en procédant à une distinction entre ce qui
pourrait être une perception véridique des aspects du monde et une perception
apparente, trompeuse.[5]
On peut considérer que la dissociation doit être vue d’abord comme processus
de raison et, par son rapprochement à l’association, comme principe même de
fonctionnement de la raison, pour qu’elle puisse être ensuite abordée comme
procédé discursif ou comme technique de construction discursive.
Deux
exemples peuvent être pris en compte pour tenter de montrer comment la
dissociation fonctionne: celui du bâton partiellement immergé dans l’eau qui
nous semble / se montre à nos yeux comme brisé et celui de l’application de
la Loi, qui peut être appliquée dans sa lettre ou dans son esprit. On
identifie ainsi une incompatibilité: dans le premier cas, il y a incompatibilité
entre le plan des perceptions et le plan rationnel (le bâton apparaît comme
brisé bien qu’il ne le soit pas), dans le deuxième cas sur le seul plan
rationnel, où on tient pour idée reçue celle que la Loi n’est qu’une
seule et qu’elle ne peut être appliquée que d’une seule façon (pourtant
on peut l’appliquer dans sa lettre ou dans son esprit, de manière différente).
D’où, sur le plan rationnel, le souhait de chercher une voie de solution de
l’incompatibilité. Or, ce souhait conduit sur le plan rationnel à un effort
de distinction entre les aspects d’une même notion qui peuvent être classés
en aspects apparents et aspects réels. La figuration ci-dessous est une
tentative de présenter les éléments constitutifs d’un processus de nature
rationnelle conduisant à l’idée que tout ce que l’on perçoit par les sens
peut ne pas être conforme à la réalité.
Plan
des perceptions |
Plan
rationnel |
Plan
discursif |
|
Ex. 1: un bâton partiellement immergé dans l’eau
APPARAÎT comme brisé |
Ex. 1: ce même bâton EST entier, il n’est pas brisé |
|
|
|
Ex. 2: Il n’y a qu’une seule possible application de
la Loi. |
||
Identification d’une
incompatibilité
|
|||
|
Tous
les aspects auxquels on se confronte ne sont pas du même type: il y en a
qui peuvent être illusoires / trompeurs. |
||
Souhait
de résoudre l’incompatibilité |
|||
Distinguer des aspects
|
Point
de départ de la dissociation argumentative |
||
Aspects
apparents |
Aspects
apparents vs Aspects réels |
Ce
qui apparaît (aux sens ou à la raison) comme réel peut être simplement
apparent ou bien réel. |
|
|
Certains
aspects perçus par les sens apparaissent comme réels, mais ne le sont
pas. Certains
aspects perçus par les sens sont réels. |
||
|
Fondement
du couple philosophique Apparence
vs
Réalité |
||
Apparence |
Réalité |
||
|
Apparence |
Réalité |
|
|
Bâton
partiellement immergé - brisé |
Bâton
partiellement immergé - entier |
Un bâton partiellement immergé dans l’eau est autre
(chose) que le même bâton qui n’est pas immergé dans l’eau. |
|
La
lettre de la Loi |
L’esprit
de la Loi |
Appliquer la Loi dans sa lettre est autre chose que
l’appliquer dans son esprit. |
3. Opérations rationnelles sous-tendant la dissociation
À mon avis, toute approche de la dissociation devrait se fonder sur l’idée
qu’à la base de l’activité discursive – conçue comme résultat et «symptôme”
de la raison – se trouve un principe de raison. La dissociation en tant que
processus rationnel apparaît comme une étape, souvent nécessaire, dans “la
conceptualisation rationnelle du monde par les humains” et surtout dans
“l’émergence de ce qui compte comme réalité même"[6].
La
raison produit ainsi, en vue de la solution des problèmes pratiques, une
distinction entre des aspects du monde, appelée, dans les termes de la NR, une
dissociation.[7]
Plusieurs
questions sont à prendre en compte à partir de ces définitions.
1) On a défini la dissociation comme solution ou tentative de solution
d’une incompatibilité entre des éléments du monde. S’il en est ainsi,
quelle est la nature de cette incompatibilité? Entre quels éléments du monde
peut-il exister une incompatibilité? Une possible réponse peut être mise en
rapport avec les divers types de perceptions du monde, dont certaines sont
correctes, véridiques, correspondant à la structure du monde, et certaines
autres illusoires, apparentes, nous donnant seulement l’apparence du monde et
non sa réalité.[8]
L’établissement des fameux couples philosophiques[9]
est une preuve de l’intérêt pour cette problématique.
2) Quel est le mécanisme intime de la dissociation ? Comment se
produit-elle et quelles en sont les étapes ou plutôt les éléments
constitutifs? La réponse pourrait être sans intérêt pour l’étude de
l’argumentation si on plaçait le mécanisme dissociatif au seul niveau
psychologique et / ou cognitif et impossible à donner avec les seuls
instruments dont dispose la recherche dans la théorie de l’argumentation.[10]
Par contre, si on s’intéresse au mécanisme dissociatif tel qu’il se reflète
dans le discours, on pourrait aboutir à des observations profitables au domaine
de l’argumentation, par l’étude du dispositif dissociatif identifiable,
apte à être reconstruit et analysable au niveau discursif. Fournir un modèle
de la dissociation aux niveaux rationnel et discursif serait un enjeu intéressant
et il est probable que l’examen des données discursives est d’une
quelconque utilité dans ce sens.
La
figuration déjà classique proposée par la NR peut être réaménagée afin de
mettre en évidence les étapes parcourues (en raison) pour aboutir au résultat
de la dissociation. Une posssible schématisation du mécanisme dissociatif est
donnée ci-dessous:
Plan des sens |
Perception |
Identification d’une incompatibilité |
Recherche
d’une solution |
Plan
de la raison |
APPARENCE
vs RÉALITÉ |
Distinction Séparation |
APPARENCE |
RÉALITÉ |
|||
Plan
linguistique |
T0 = terme désignant la notion initiale / originale) |
Concession Négation |
Acceptation
de certains aspects |
Rejet de certains aspects |
|||
Valorisation discursive (ARGUMENTATIVE) |
|
||
T2 = Modification d’expression / Introduction d’une
expression nouvelle pour désigner la notion distinguée de la notion
initiale |
T1 (= T0) = ancienne notion |
||
T2 = nouvelle notion |
La solution pourrait donc être la décomposition de la notion initiale en
aspects constitutifs, ce qui permet de ranger les aspects de la notion en deux
catégories: aspects apparents et aspects réels. Les catégoriser ainsi revient
à juger l’une des catégories comme différente par rapport à l’autre –
et ceci, dans une longue tradition philosophique (socio-historique peut-être
aussi) – d’un point de vue qualitatif. Ce qui signifie que ce qui est
directement connu est inférieur à ce qui est découvert par cette voie
analytique. C’est pourquoi on jugera que la catégorie des aspects issue de la
dissociation, correspondant à une nouvelle notion et nommée par T2
est à valoriser par rapport à l’ancienne notion qui peut se retrouver sous
la désignation ancienne (T0) ou sous une désignation nouvelle (T1).
C’est la voie par laquelle on est parvenu à de nouveaux systèmes
philosophiques et de nouvelles théories scientifiques (qui sont des systèmes
proposant des représentations plus ou moins fidèles, plus ou moins réussies
du réel).
Une
telle hypothèse pourrait être mise à l’épreuve dans le cas de la notion
assez récente de développement durable[11],
obtenue par dissociation de la notion de développement à la suite
d’une analyse de ses composantes, parmi lesquelles se retrouve, au niveau des
conséquences, celle de destruction (de ressources / de l’environnement).
Comme cette conséquence ne peut être que nuisible au développement, jugé
profitable en soi, on identifie une incompatibilité en termes de buts et conséquences:
les buts sont nobles, tandis que, parmi les conséquences non recherchées et
souhaitées, il y en a des malheureuses / nuisibles. Procédant à une analyse
des problèmes en matière de développement, la comission chargée de la tâche
de les définir a mis en évidence qu’il fallait accorder une attention
particulière à huit aspects fondamentaux du développement, tel qu’il se présentait
à ce moment-là, afin qu’il puisse être durable[12]
(angl. sustainable), c’est-à-dire “satisfaire aux besoins du présent
sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire aux leurs”[13].
On connaît bien depuis lors la fortune du concept (et du terme qui le désigne)
qui a représenté la base d’un nombre impressionnant d’actions sociales, de
réglementations juridiques, de manifestations scientifiques. Or, l’existence
et l’emploi du terme en question reposent, d’une part, sur la dissociation
entre toute forme de développement qui nuirait aux besoins des générations
futures et les formes de développement qui préservent (sans donc «compromettre»)
les possibilités de satisfaction des besoins à l’avenir. L’analyse du
contexte discursif permet de déceler la thèse qui sous-tend la définition du
terme développement durable, thèse qui serait quelque chose comme Le
développement (actuel / tel qu’il se présente de nos jours) compromet la
satisfaction des besoins futurs et qui pourrait être vue aussi comme
argument en faveur de la thèse Il faut prendre des mesures en vue d’un développement
qui ne compromette pas cette satisfaction. La création de la nouvelle représentation,
en passe de devenir notion, s’appuie aussi sur une expression linguistique élégante,
qui a le mérite de conserver l’ancien mot simplement déterminé par un
adjectif; cette expression révèle aussi pour qui veut le voir que le développement
jusqu’au moment en question était en fait non durable, ou du moins
n’était pas tout à fait durable. En fait, la création de la nouvelle notion
s’appuie aussi sur une association avec le champ notionnel auquel appartient durable;
durabilité veut dire aussi “permanence, perennité, persistance”[14],
durable est aussi ce “qui se conserve”. L’incompatibilité résolue
dans ce cas est entre la représentation d’un développement qui est nécessairement
consommateur de ressources et destructeur de l’équilibre de certains systèmes
et la représentation des conséquences de ce développement, nuisibles aux générations
futures. La dissociation dans ce cas permet de représenter le développement
– processus inévitable, mais aussi action volontaire – comme dissociable en
deux éléments: le développement en soi, comme processus et action, et les résultats
du développement, qui sont recherchés pour leur caractère profitable – en
d’autres mots, le développement comme processus n’est qu’une apparence,
ce qui est important pour l’homme en sont les conséquences. Ce qui, en
couples philosophiques revient à être traité de la manière suivante:
développement |
processus (moyen) |
|
|
conséquences (fin) |
incompatibilité |
conséquences nuisibles |
|
|
conséquences bénéfiques |
Ce qui est important, ce sont les fins, car c’est en vertu des fins
poursuivies que s’effectue toute action. Or, c’est à ce niveau que l’on
constate une incompatibilité: tout ce qui résulte du développement n’est
pas nécessairement profitable, il y a donc conséquences bénéfiques et conséquences
nuisibles. Ce constat entraîne une reconsidération de l’élément valorisé,
les conséquences, qui ne peuvent plus être valorisées si elles ne sont pas
totalement bénéfiques. Ce qui aura comme résultat le renversement du couple
par la valorisation du processus en lui-même, car c’est la voie qui mène aux
conséquences en question, bénéfiques et nuisibles[15].
L’élément processus est valorisé dans le sens qu’on lui donne une autre
importance, qui permet de le considérer sous tous ses aspects qui se révèlent
aussi incompatibles en raison du fait qu’il se fait à la fois de manière adéquate
et inadéquate. La distinction pourra se faire de la manière suivante:
développement |
conséquences (fin) |
|
|
processus
(moyen) |
incompatibilité |
Inadéquation
à la préservation des ressources |
|
|
Adéquation
à la préservation des ressources |
Cette nouvelle représentation permet de mettre en valeur non pas les conséquences
en elles-mêmes, non pas le processus en lui-même, mais l’adéquation du
processus à la préservation des ressources, ce qui montre la nécessité des réglementations
juridiques dans ce sens. Avec quoi change aussi la représentation du concept de
développement qui devient, de ce fait, durable (adéquat à la préservation
des ressources). Mais, on le voit bien, le mécanisme dissociatif repose en
dernière instance, du moins dans ce cas, semble-t-il, sur le principe
d’association, par l’infusion ou l’adjonction à la notion de développement
désignée maintenant du nom de développement durable, d’aspects
notionnels du domaine de la préservation des ressources. Tout développement
qui n’est pas associé à une préservation des ressources se voit ainsi
accorder le statut de terme I (T1) et, de ce fait, dévalorisé,
rejeté, banni – et aussi sous l’incidence de la loi.
Une
hypothèse que l’on pourrait faire quant au processus de dissociation est
qu’il comporte les opérations suivantes, que j’appellerai des éléments
constitutifs de la dissociation:
1)
saisie de l’incompatibilité affectant un concept, une notion, une représentation
du monde / de la confusion reliée à celui/celle-ci ou à l’emploi d’un
terme (les situations sont assez différentes);
2)
distinction entre des aspects complémentaires mais contradictoires;
3)
séparation de ces aspects en deux classes complémentaires dans la représentation
de la notion initiale;
4)
concession / acceptation des deux classes d’aspects, compatibles et
incompatibles avec la représentation de la notion initiale;
5)
dé-construction de la représentation de la notion initiale en deux représentations
qui ne s’excluent pas l’une l’autre et qui correspondent à deux notions
différentes, dont l’une est soit la notion initiale – vieillie, desuète en
quelque sorte, puisqu’elle repose sur et renferme une incompatibilité –,
soit la notion initiale dépourvue d’une partie des aspects qui la
rendent contradictoire;
6)
non-acceptation / rejet des aspects problématiques;
7)
re-structuration des éléments composants issus de l’ancienne représentation,
en deux opérations: construction d’une nouvelle[16]
(dans le sens d’«originale»), en parallèle avec la récupération des éléments
restants et leur re-construction dans un ensemble qui correspond à la
représentation démolie, démunie d’une partie de ses composantes[17];
8)
modification terminologique / désignation(s) nouvelle(s);
9)
valorisation de la nouvelle représentation;
10)
normativité de T2 (= critère, norme).
Cette description mécanique et sommaire du processus a la qualité de
fournir une possible modélisation des opérations constitutives de la
dissociation. Elle est de nature à mettre en évidence le fait que l’ancienne
représentation est dépourvue des éléments qui lui donnaient l’essence même,
ces éléments étant infusés dans la nouvelle représentation, à
l’exclusion de ceux qui ne sont pas jugés qualitativement supérieurs. Dans
cette hypothèse, il n’est pas sans importance que l’ancienne représentation
est re-construite de “restes”,
tandis que la nouvelle est au contraire délestée des caractères ou aspects
jugés insignifiants, incompatibles, nuisibles à son essence et à
l’argumentation. C’est pourquoi la nouvelle représentation est plus
puissante et peut être plus aisément valorisée (maintien dans la nouvelle
représentation des aspects qualitativement supérieurs).
Si
l’on s’en tient au couple prototypique Apparence / Réalité, le mécanisme
dissociatif peut agir toutes les
fois qu’une incompatibilité entre des aspects du monde est identifiée ou
seulement invoquée. Largement pratiquée dans une grande variété de discours,
la dissociation est évidente chez Aristote, par exemple, quand il parle de la nécessité
de distinguer entre des raisonnements corrects ou valides et ceux qui en ont
l’air mais ne le sont guère[18].
Pour
en revenir aux termes de dé-construction, construction et re-construction
utilisés ci-dessus, il est lieu de se rapporter aussi à quelques remarques de
la NR qui vont dans le même sens ou qui viennent soutenir cette idée. Les deux
auteurs attirent l’attention sur le fait qu’une “notion qui devient terme
I n’est plus ce qu’elle était lorsque nous la connaissions comme terme II,
un terme ne pouvant se concevoir que dans son rapport avec l’autre terme du
couple” (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 570). De même,
l’idée de “remaniement plus ou moins profond des données conceptuelles”
(idem: 551) comme processus sous-tendant la dissociation soutient la conception
du mécanisme dissociatif comme instance de dé-construction et de construction
/ re-construction des notions[19].
D’autre part, il faut souligner que T2 ainsi représenté devient
un critère, une norme, contribue à l’insitution d’une règle de hiérarchisation
des aspects que comporte T1.[20]
Aborder les choses de cette façon consiste aussi à poser le problème suivant,
qui ne semble pas abordé dans la littérature sur la dissociation[21]:
est-ce que la construction de la notion comme T2, c’est-à-dire
comme représentation nouvelle, n’est pas à même de déclencher aussi un mécanisme
associatif? S’il en était ainsi (ce qui semble tout à fait probable et
pourrait se révéler lors d’une étude empirique des discours), alors on
pourrait expliquer pourquoi la représentation issue de la dissociation,
nouvellement créée, arrive à être valorisée argumentativement: on ne fait
pas que de distinguer et séparer des éléments appartenant à l’origine à
une seule représentation, unitaire et cohérente, mais on associe certains éléments
ainsi distingués et séparés à d’autres ou on leur associe de nouveaux éléments.
4. Actualisations linguistiques des opérations
rationnelles / éléments constitutifs de la dissociation
Les extraits qui suivent sont des reflets dans le discours des opérations
rationnelles qui sous-tendent la dissociation, préparant le champ et ouvrant la
voie à une argumentation qui sera apte à valoriser une nouvelle notion re-construite
au sein d’un système conceptuel déjà existent. Les indices discursifs ou
les traces discursives mettent en évidence soit la notion nouvelle, originale,
dissociée de l’ancienne, re-construite en vue d’une valorisation
argumentative, soit la notion ancienne, pour la constraster avec la notion
originale.
4.1.
Saisie de l’incompatibilité
– La saisie d’une incompatibilité entre les aspects d’une notion peut se
révéler dans le discours par des indices de plusieurs natures[22]:
a) indices morpho-syntaxiques – sur-détermination du nom désignant la
nouvelle notion par un élément anaphorique (démonstratif) ou indéfini (interro-relatif):
(
1.
)[23]
sujet: Tout dépend
de quel jeux on parle
auteur:
clyde70
- jeudi 16 juin 2005 11:36
Paris
a besoin des jeux Symbole d’union entre les peuples de fraternité ... des jeux qui respectent l’environnement .. des jeux «propres»
ou on est pas prêt a tout pour une course a la medaille .. […] Ces jeux la
Paris en as besoin je pense ... mais
est ce vraiment ces jeux la que nous allons peut être gagné le 6
juillet ??. j’en doute...
(Discussion
autour de la candidature de Paris à l’organisation des Jeux Olympiques de 2012
– avant le vote final sur la candidature, forum Internet archivé du journal Libération,
intitulé Paris a-t-il besoin des Jeux Olympiques ? - http://www.liberation.fr/forums/forum.php?Forum=469)
(
2.
)
À
cette idée de la sociologie comme science de tout ce qui est humain en général,
contribuait le fait qu’elle était une science nouvelle et que par conséquent
tous les problèmes imaginables que l’on ne savait pas bien ranger ailleurs se
pressaient vers elle (…)
(Georg
SIMMEL 1908 [1992] (1999). Sociologie. Étude sur les formes de la
socialisation. Paris: PUF. Ch. I - Le problème de la sociologie [Réfutation
de la définition de la sociologie comme science de tout ce qui est humain]:
[15-16] 40-41. Le texte des intertitres, en italiques entre crochets est établi
par L. Deroche-Gurcel, aussi traducteur des chapitres 8 à 10; les chiffres
entre crochets correspondent à la pagination de l’édition allemande de 1992.
Les italiques appartiennent à l’auteur.)
b) indices lexico-sémantiques – la notion dont les aspects
constitutifs se présentent comme incompatibles est déterminée par un adjectif
qualificatif qui explicite la saisie de l’incompatibilité ou présentée, par
le biais d’un nom, comme ayant un contenu incertain:
C’est
dans cette situation que se trouve la tentative entreprise ici de donner au
concept hésitant de la sociologie un contenu sans ambiguïté, régi
par une problématique, aux bases méthodologiques sûres.
(SIMMEL,
Avant-propos: 37. Les italiques appartiennent à l’auteur.)
Les adjectifs «hésitant” et «sûres», mis en opposition, et le nom «ambiguïté»
sensibilisent l’interlocuteur en vue de la dissociation: le concept de sociologie
n’a pas de représentation précise ou elle oscille. Les expressions «sans
ambiguïté», «une problématique», «bases méthodologiques sûres»
mettent en évidence la nécessité de préciser le contenu du concept. En même
temps, elles sensibilisent l’interlocuteur quant au but du texte. Tout ce que
l’on souhaite dans un tel texte est de rendre transparente l’intentionalité
de l’auteur.
(
4.
)
Cela
signifie seulement qu’on met ensemble dans un même sac toutes les
sciences historiques, psychologiques et normatives, qu’on remue le tout et
qu’on lui colle l’étiquette: sociologie.
(SIMMEL,
40-41)
L’idée de confusion, sans être explicitée, est équivalente avec la «mise
ensemble, dans un même sac”, des aspects considérés comme incompatibles au
sein d’une même notion. D’ailleurs, le souhait de transparence,
d’explicitation du caractère argumentatif des propos qui reposent sur le mécanisme
dissociatif est aussi mis en évidence par l’attention que porte le
responsable de l’édition à la synthèse dans les intertitres de
l’intention et des sous-intentions communicatives de l’auteur: «réfutation»,
«définition», etc.
c) prédéterminant / article indéfini utilisé dans le sens de «unique»;
l’article indéfini a ici valeur d’individualisation, annonçant la
dissociation: une par rapport aux multiples problématiques qui caractérisaient
la sociologie; unique puisque distincte des autres qui du coup en seront
éliminées, v. exemple (3.
) ci-dessus;
d) prédéterminant / article défini, pour marquer la confusion en une
seule de plusieurs notions qui devraient être distinguées:
(
5.
)
Pareto
a remarqué que c’est souvent abusivement que l’on parle au singulier
de «la pensée» d’un auteur. Cela est particulièrement vrai des
grands auteurs et notamment de lui.
(BOUDON
1999. L’actualité de la distinction parétienne entre «actions logiques» et
«actions non logiques»: 35. In Pareto aujourd’hui, sous la
dir. de Alban Bouvier: 35-70. Paris: PUF.)
e) adverbes caractérisant la manière de s’exprimer de quelqu’un, tel abusivement
dans l’exemple ci-dessus.
4.2.
Distinction entre des aspects complémentaires mais contradictoires
au sein de la même notion – L’explicitation de la nécessité
de distinguer entre des aspects complémentaires mais contradictoires d’une même
notion qui posent en question le statut même de la notion se fait par des
verbes comme distinguer, dissocier et les noms correspondants (distinction,
dissociation, différence) ou par des noms implicitant les idées
de distinction, opposition, contradiction:
(
6.
)
Derrière
le marché au fleurs, meilleures glaces de l’île. Je dis bien
‘‘glace’’ ke je dissocie des célèbres sorbets coco
k’on trouve dans tous les coins de rue et carrefour de routes
(http://archives.volcreole.com/phpBB21/sujet-3692-0.html)
(
7.
)
Il
faut dissocier la notion de patrimoine culturel au sens large et la notion de
patrimoine culturel telle que le droit l’identifie, dont il choisit
d’assurer la protection au nom d’un intérêt historique, artistique, esthétique,
etc.
(http://www.educnet.education.fr/juri/culture/notion.htm)
(
8.
)
Je
fais une dissociation entre Le féminisme
et Les combats pour Les droits des femmes Selon moi Le féminisme est un
mouvement de femmes frustrées (…)
(www.bladi.net/modules/newbb/page-47127-7-10.html)
(
9.
)
…
je distingue entre le souverain bien, qui consiste en l’exercice de la
vertu, ou, ce qui est le même, en la possession de tous les biens dont
l’acquisition dépend de notre libre arbitre, et la satisfaction d’esprit
qui suit de cette acquisition. C’est pourquoi, voyant que c’est une plus
grande perfection de connaître la vérité, encore même qu’elle soit à
notre désavantage, que l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins
gai et avoir plus de connaissance.
(Descartes,
Lettre à Élisabeth, 6 oct. 1645 – http://www.textesphilo.com/textes/imaginations.html)
(
10.
)
Dans
un article datant de quelques années, j’avais insisté sur la tension
que je croyais percevoir entre un Pareto exotérique, que j’ai choisi
d’envisager principalement dans les pages qui suivent, et un Pareto ésotérique
dont la théorie des dérivations me paraissait contedire la théorie des
sentiments et des résidus. (…) Sa théorie exotérique est d’une importance
particulière (…)
(BOUDON,
35)
Dans les extraits ci-dessus on constate que les locuteurs ordinaires ont
recours à l’explicitation d’une nécessité de séparer entre des aspects
que l’on peut aisément confondre en une seule notion. C’est ce que l’on
pourrait appeler une dissociation explicite. En outre, dans la démarche
intellectuelle, scientifique, qui vise l’éclaircissement du contenu des
notions, cette tentative de séparer les aspects complémentaires de la notion
est considérée comme constitutive de la démarche méthodologique. D’autre
part, cette opération constitutive de la dissociation se superpose à celle de
séparation des aspects constitutifs en deux classes complémentaires (v. 4.3.
ci-dessous) et à celle de désignation des notions qui résultent au terme du mécanisme
dissociatif.
4.3.
Séparation des aspects constitutifs en deux classes complémentaires – Les exemples ci-dessus illustrent, par la désignation des classes
issues de la distinction, une quête de réorganisation du contenu initial de la
notion, dont les aspects ne peuvent plus être vus comme solidaires. Cette séparation
est décelable essentiellement par la désignation des classes séparées,
qui renferment chacune des aspects initialement présents dans la notion, mais
qui sont re-construits par une réorganisation en classes distinctes. Tel est le
cas dans l’extrait suivant:
(
11.
)
A:
Vous êtes passée par le théâtre de la Main d’or, partagez-vous les idées
de Dieudonné, propriétaire des lieux ?
B:
Je dissocie vraiment le comédien de l’homme politique qui se
met en scène. Je n’ai rien à dire par rapport à l’homme politique, parce
que ça ne m’intéresse pas. Il a ses idées, qui ne sont pas forcément les
miennes. Il a le droit de s’exprimer, mais je pense que dans ce métier là,
il est très important d’être précis et de savoir quelle casquette on porte
à quel moment. Côté professionnel, Dieudonné est pour moi le meilleur comédien
en One man show depuis Coluche. J’ai suivi ses cours par rapport à ce qu’il
donnait dans ses spectacles et à par rapport à son écriture très acide, qui
me fait penser à la manière dont j’écris. C’est l’homme qui m’a donné
envie de passer sur scène.
(http://www.afrik.com/article8649.html)
Dans la plupart des situations on peut constater, comme dans l’exemple
ci-dessus, que le discours vise celle des classes qui sera valorisée
argumentativement comme nouvelle notion (le comédien), dissociée de la
notion initiale (T0 = Dieudonné), avec un intérêt moindre
ou inexistent pour l’ancienne notion (Dieudonné) ou pour celle qui ne
présente pas d’importance pour la démarche argumentative (T1 = l’homme
politique). La mise en discours de cette opération constitutive de la
dissociation est importante parce que, d’habitude, elle se confond à celle de
désignation (T2) de la nouvelle notion et, éventuellement de
l’ancienne (T1).
4.4.
Concession / acceptation des deux classes d’aspects, compatibles et
incompatibles avec la représentation de la notion initiale
– Les deux classes d’aspects sont vues comme existant en parallèle; l’une
sera valorisée dans la démarche argumentative, l’autre, sans être détruite
ou annulée, jouera simplement un rôle de repère. On le voit bien dans
l’exemple précédent, où la représentation «conceptuelle” correspondant
à Dieudonné n’exclut pas les deux facettes du personnage en question.
Les indices linguistiques sont généralement fournis par la désignation des
deux classes par des «étiquettes» qui seront reprises / utilisées dans le
discours.
4.5.
Dé-construction de la représentation de la notion originale –
Les deux classes d’aspects ainsi distinguées sont détachées l’une par
rapport à l’autre, de sorte que l’ancienne notion ne peut plus se concevoir
comme identique à elle-même: elle doit être rapportée aux deux ensembles
d’aspects différents qui, antérieurement à la dissociation, la
structuraient de façon uniforme et égale et elle doit être nécessairement
représentée comme un pendant obligatoire d’une nouvelle notion qui
n’existait pas avant la dissociation:
(
12.
)
Après
avoir reconnu qu’il est des races fortes et qu’il en est de faibles,
je me suis attaché à observer de préférence les premières, à démêler
leurs aptitudes, et surtout à remonter la chaîne de leurs généalogies.
(Arthur
de GOBINEAU 1853-1855 (1967). Essai sur l’inégalité des races humaines:
30. Paris: Pierre Belfond.)
La notion de race a été déconstruite, de manière à permettre la
structuration de deux nouvelles notions qui ne la nient pas, mais dont
l’existence conceptuelle ne permet plus – dans le cadre discursif –
d’ignorer que les races fortes se repèrent par rapport aux races
faibles, et que, d’autre part, la notion même de race comporte, en
quelque sorte, des «degrés». Les indices linguistiques, comme l’indiquent
les cas précédents, sont de nature adjectivale ou nominale.
4.6.
Non-acceptation / rejet des aspects problématiques
– De par la constitution d’un nouveau cadre conceptuel et la mise en place
de deux sous-systèmes notionnels différents, le processus de dissociation
permet de rejeter l’une des deux classes d’aspects dans une zone de moindre
intérêt argumentatif, de la placer dans un champ qui n’a rien à faire avec
la notion importante pour l’argumentation. Toute une série d’aspects qui étaient
– de manière plus ou moins évidente – perçus comme constitutifs de la
notion initiale sont niés et écartés par le biais:
a) des marqueurs négatifs – la forme négative de l’énoncé est apte
par elle-même d’introduire une dissociation implicite, peut-être la plus
difficile à repérer par l’interlocuteur, qui peut ne pas la remarquer:
(
13.
)
Relisez
ces propos «émis” par son excellence [le Président Băsescu] à Paris.
“Nous n’acceptons plus l’emploi de l’étiquette discrétionnaire,
parce que ce n’est plus une réalité”. Ce «plus” le démasque. C’est-à-dire
la Roumanie “a été” un pays corrompu, mais “maintenant” il ne l’est
plus. Quand l’a-t-il été? Mais bien sûr, avant son avènement, et il ne
l’est plus depuis qu’il exerce la fonction de chef de l’État.[24]
(Valentin
Stănilă, “Evaluare fără complezenţă",
quotidien Azi, 3910, 25 nov. 2005, ma traduction)
(
14.
)
des
jeux gagné loyallement par apport aux autres villes et non pas «achetés »
par le biais de subtile manoeuvre de couloir et de pots de vins ou de petits
cadeaux versés aux membres du CIO comme un reportage de la BBC l’a recemment
démontré ... des jeux ou l’argent roi ne va pas tout écrasé au
profit des grandes multinationales principale sponsor des jeux ... (…) des
jeux qui ne vont pas brisé des milliers de gosses sacrifiés pour des
medailles ...
(forum
Internet Libération, Paris a-t-il besoin des Jeux Olympiques ?)
b) des connecteurs d’opposition (mais, cependant, en revanche, alors
que, pourtant, en dépit de, néanmoins) permettant de mettre en évidence
qu’une reconsidération des faits s’impose:
(
15.
)
Je
ne m’attache pas au CV, le CV étant pour moi une sorte de piège dans le sens
où il est chronologique, comme si la dernière expérience était
l’aboutissement de l’ensemble des compétences et du savoir-être. Alors
que c’est l’ensemble du parcours professionnel, avec des petits bouts à
droite et à gauche qui font les compétences du futur métier de cet individu.
(http://www.mareussite.com/rub1p22.asp?navi=ie&boum=29&flecho=6)
4.7.
Re-structuration des éléments composants
– Cette opération correspond, du point de vue linguistique, à des opérations
de définition, ayant comme fin un éclaircissement notionnel qui vise surtout
la nouvelle notion qui sera valorisée dans l’argumentation:
(
16.
)
Je pratique et
j’enseigne le métier d’éditeur. (…) Je m’en tiendrai ici au bref
commentaire d’un théorème qu’il convient, me semble-t-il, de rappeler par
priorité aux auteurs: l’éditeur est celui qui prend le risque de publier (ce
que je dissocie, pour la clarté du propos, de l’acte d’éditer
– activité située en amont de la publication, qui consiste à mettre au
point le contenu éditorial de ce qui sera imprimé puis diffusé au public,
c’est-à-dire publié). Le risque est, pour partie, moral et juridique;
pour sa plus large part, il est économique et financier.
(http://blog-dominique.autie.intexte.net/blogs/index.php/all/2005/11/07/le_pouvoir_d_editer)
(
17.
)
A: Comment définiriez-vous alors votre
musique ?
B: On ne peut pas parler de raï. Je
définirais ce que je fais comme de la Magh-oc musique. Une musique à la
fois maghrébine et occidentale. Parce que je suis entre les deux cultures,
il est normal que je sois influencé par chacune.
(http://www.afrik.com/article363.html)
4.8.
Modification terminologique / Nouvelle désignation / Etiquette – Les exemples
fournis ci-dessus sont illustratifs des procédés linguistiques de dénomination
des notions issues de la dissociation. Les déterminations syntaxiques de nature
adjectivale sont les plus typiques, tandis que les adjectifs « vrai »,
« véritable » peuvent être associés au terme désignant
l’ancienne notion pour indiquer qu’il s’agit d’une nouvelle acception du
terme et, en même temps, d’une réorganisation conceptuelle:
(
18.
)
A: [mais la vraie question]… c’est
de savoir si les Jeux ont besoin de Paris
B: Voilà effectivement la vrai
question …
(forum
Internet Libération, Paris a-t-il besoin des Jeux Olympiques ?)
(
19.
)
Paris doit-elle devenir la capitale des
Jeux du déséquilibre si visible entre misère et richesse? la capitale
du gaspillage olympique?
(Manifeste
du Collectif Anti Jeux Olympiques - http://1libertaire.free.fr/Cajo01.html)
On peut ajouter à ces procédés de désignation la création lexicale et
l’emprunt. Les nouvelles désignations serviront – du moins dans le contexte
argumentatif restreint – comme fondant la norme et correspondant à des
contenus notionnels qui pourront être par la suite adoptés indéfiniment par
des interlocuteurs / auditoires différents et de plus en plus larges.
5. Remarques finales
Sans prétentions d’exhaustivité, cet inventaire d’indices linguistiques permet non seulement de retracer le parcours dissociatif, mais aussi de révéler les possibilités qu’ont les locuteurs à leur disposition pour mettre en place des dissociations implicites, plus difficiles à repérer dans la plupart des contextes. L’intérêt de l’étude de la dissociation est représenté par le fait qu’une argumentation reposant sur des dissociations explicites, dont l’auditoire ou l’intellocuteur-opposant est au courant de par la tentative d’explicitation de la part du locuteur, est apte à se situer dans des cadres dialectiques. Bien au contraire, les dissociations implicites, assez courantes dans la conversation ordinaire comme dans le discours politique, sont au profit des stratégies rhétoriques, se rapprochant de près des techniques définitionnelles de nature persuasive. Par la transformation proposée, suggérée, explicitée du contenu des notions, la dissociation modifie les points de départ acceptés par les participants à un échange argumentatif. D’où l’importance d’une étude plus poussée des traces que le mécanisme en question laisse dans le discours en vue d’une meilleure identification des procédés de manipulation par le biais du discours, au déploiement desquels la dissociation participe souvent.
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Schiappa, Edward (1985). Dissociation in the Arguments of Rhetorical Theory. In Journal of the American Forensics Association, 22: 72-82.
[1] “Distinction is the heart of all argumentation." (Goodwin 1991: 143)
[2] On utilise l’acronyme NR pour la référence à La Nouvelle rhétorique, Perelman et Olbrechts-Tyteca 1958.
[3] “The process of generating philosophical pairs is an essential event in the rational conceptualization of the world of human beings and even in the coming to presence of what counts as reality itself.” (les expressions sont de Crosswhite 2004: 376).
[4] L’effet de la dissociation est de modifier un système de pensée qu’elle prend pour objet de son action “en modifiant certaines des notions qui en constituent des pièces maîtresses”; les pensées philosophiques originales sont le résultat d’un processus de dissociation. (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 1er: 256)
[5] Cf. Crosswhite 2004: 376.
[6] Les expressions sont de Crosswhite 2004: 376, v. note précédente .
[7] Cf. aussi: “In order to solve practical problems, reason produces what La Nouvelle rhétorique calls a dissociation”. (Crosswhite 2004: 376) On peut aisément remarquer ainsi que la dissociation n’est pas définie comme appartenant à un genus. On envisagera néanmoins qu’en rhétorique le mot dissociation est utilisé comme terme appartenant à un vocabulaire spécialisé.
[8] Je trouve pourtant difficile de dire, malgré la remarque de Crosswhite citée ci-dessus , que les perceptions sont apparentes et / ou véridiques. Ce sont plutôt les représentations que l’on construit de la réalité sur la base de ces perceptions qui sont véridiques ou apparentes, c’est à dire en plus ou moins grande conformité avec l’image du réel).
[9] Pour une présentation détaillée, v. Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 561-574.
[10] On peut toutefois poser que certaines actions humaines reposent – sans discursivité aucune – sur un principe de dissociation: une mère ou un père peut arriver à frapper son enfant pour diverses raisons, tout en faisant ce geste sur la base d’une dissociation / distinction entre la propriété que l’individu «objet de la violence» possède sur la base de relation de parenté et une nouvelle propriété identifiée par le parent chez son enfant, celle de personne qui agit contre certaines normes sociales, familiales ou d’autre nature. Ce qui peut se soutenir par bien des exemples où nos comportements sont justifiés par des dissociations non nécessairement verbalisées.
[11] Le terme sustainable development a été mis en circulation par la Comission Internationale d’Environnement et de Développement (WCED) en 1987 dans un rapport intitulé “Notre Avenir Commun”, élaboré sur la base de débats publiques et de l’examen de pétitions écrites sur un intervalle de trois ans.
[12] Cette détermination attire l’attention sur le fait que le développement n’était pas «durable». Comme on le verra plus loin, déterminer un substantif désignant un concept ou une notion par un adjectif est une manière implicite de dire que le concept en question ne possédait pas la qualité désignée par l’adjectif; de ce fait, l’adjectif en question a une force particulière de rattacher le concept (par association) à un autre concept ou domaine: tel est le cas du crime passionnel qui serait moins un crime que les crimes, en général. À l’inverse, l’expression développement durable consistera à impliciter que le développement n’est pas durable, c’est-à-dire il est nuisible aux ressources dont auront besoin les générations futures.
[13] Cf. What is sustainable development?, page web de l’UNESCO, http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=3994&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html [trad. de l’angl. A.G.].
[14] Trésor de la Langue Française Informatisé, http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.
[15] En fait, les conséquences sont bénéfiques à court et moyen terme, mais nuisibles à long terme, d’où l’incompatibilité en question.
[16] Le terme II (T2) “n’est pas simplement un donné, mais une construction qui détermine, lors de la dissociation du terme I, une règle qui permet d’en hiérarchiser les multiples aspects, en qualifiant d’illusoires, d’erronés, d’apparents, dans le sens disqualifiant de ce mot, ceux qui ne sont pas conformes à cette règle que fournit le réel.” (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 557)
[17] Cf. aussi “Dissociations construct or maintain the real. They construct the real by postulating a principle against which conflicting claims can be judged, and, in this way, help to resolve the impasse created by incompatibilities.” (Goodwin 1991: 150); “a distinction has the power to reconstruct notions of «the real»” (Goodwin 1991: 141); “Through the power of dissociation, distinctions construct reality during a dialectical exchange. ” (Goodwin 1991: 151)
[18] Réfutations sophistiques, 1ère et 6ème parties.
[19] Les notions sont “dissociées et restructurées” (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 555).
[20] Cf. Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 557.
[21] Il s’agit de la littérature que j’ai consultée jusqu’à présent et dont une partie est indiquée dans la bibliographie.
[22] Les caractères gras sont utilisés pour mettre en évidence les indices linguistiques des éléments constitutifs de la dissociation, vus comme opérations rationnelles qui la sous-tendent.
[23] Pour tous les exemples puisés aux forums électroniques on a conservé l’orthographe originale.
[24] Recitiţi aceste cuvinte pe care le-a “emis" domnia sa la Paris. Nu mai acceptăm utilizarea etichetei discreţionare , pentru că aceasta nu mai este o realitate". Acel “mai"îl dă de gol. Adică, “a fost" o ţară coruptă, dar “acum" nu mai este. Când a fost? Evident, înainte de înscăunarea sa şi nu mai este de când exercită funcţia de şef al statului.