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Actualisation linguistique des opérations rationnelles sous-tendant la technique argumentative de dissociation

 Anca Gâţă, Université « Dunărea de Jos », Galaţi

La distinction est le cœur de toute argumentation.[1]

1. Introduction

 L’intérêt conceptuel de la dissociation dans la théorie de l’argumentation repose sur la place qui lui est donnée dans La Nouvelle rhétorique (NR)[2]. L’ouvrage se constitue comme une discussion et une élaboration autour des “moyens discursifs d’obtenir l’adhésion des esprits” (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 1er: 10). Dans la troisième partie de leur NR, intitulée «Les techniques argumentatives», Perelman et Olbrechts-Tyteca annoncent qu’il faut procéder à une analyse de la structure des arguments isolés, qu’ils appellent aussi «schèmes argumentatifs», «techniques argumentatives» ou «schèmes d’arguments» caractéristiques des énoncés (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 1er: 251). Tout en précisant qu’un même énoncé est “susceptible de traduire plusieurs schèmes”, les auteurs rangent les arguments en quatre grandes classes d’arguments, dont les trois premiers types sont des «procédés de liaison», à savoir “des schèmes qui rapprochent des éléments distincts et permettent d’établir entre ces derniers une solidarité visant soit à les structurer, soit à les valoriser positivement ou négativement l’un par l’autre” (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 1er: 255). Dans la quatrième classe ils intègrent les techniques de dissociation, qui ont pour objectif la désolidarisation des éléments communs à une notion. Celles-ci sont à distinguer de la «rupture de liaison», qui permet au locuteur de s’opposer à l’établissement d’une solidarité par le biais d’un mouvement argumentatif, de refuser  – par des moyens linguistiques – d’admettre l’existence d’une liaison antérieurement acceptée, de postuler que des éléments précédemment associés ne doivent pas l’être. (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 550-552) La dissociation apparaît dans le discours en tant que «figure” argumentative permettant au locuteur de se situer par rapport au monde et au discours produit. Par rapport au monde, puisqu’elle permet au locuteur de reconstruire un système de pensée et de réflexion sur le monde; par rapport au discours produit, puisqu’elle lui permet de (re)placer dans ce discours des notions et les termes correspondant à ces notions.

Cet article a pour but de présenter une approche de la dissociation argumentative du point de vue des opérations rationnelles qui la sous-tendent, telles qu’elles peuvent être identifiées par les traces discursives. Si la dissociation est vue comme un procédé discursif qui vise à séparer, à désolidariser des éléments appartenant à un même système de pensée, elle doit être aussi conçue comme un processus rationnel reposant sur des opérations que je tenterai de discuter dans les propos qui suivent.

 

2. La notion de dissociation dans la Nouvelle Rhétorique

 

La notion de dissociation a été identifiée par les auteurs de la NR comme issue d’une quête naturelle des sujets parlants: quête de solution d’une incompatibilité, d’une inconsistance ou d’une incohérence dans la manière de concevoir les notions. Désignée aussi «dissociation notionnelle», ce mouvement de pensée et de langage permet au sujet de proposer – à travers le discours – de nouvelles visions du monde, correspondant à une construction de notions originales, et de faire fonctionner les notions ainsi distinguées dans des buts argumentatifs, afin de soutenir une thèse ou pour la réfuter.

La nécessité d’éclairer la manière dont on donne des solutions aux incompatibilités par le biais de la dissociation a conduit le plus souvent à un examen des situations de communication linguistique. L’examen d’un grand nombre de discours a permis aux auteurs de la NR de retrouver des traces du mécanisme dissociatif engendré par l’idée qu’il y a des aspects du monde trompeurs et des aspects non trompeurs. Les aspects trompeurs relèvent du domaine des apparences, les aspects non trompeurs relèvent du domaine de la réalité. C’est l’idée sur laquelle repose la déclaration du couple philosophique Apparence / Réalité comme prototypique de toute dissociation possible[3]. À l’instant où l’on peut faire la distinction entre apparence et réalité – ce qui est toujours discutable – on peut examiner de plus près les deux faces de l’incompatibilité qui se présente à nos sens et donc à notre esprit, à nos jugements aussi.

La dissociation comme technique argumentative, telle qu’elle apparaît dans la NR, repose sur une distinction entre les aspects constitutifs d’une notion qui semblent incompatibles et qui se contredisent les uns les autres en une certaine mesure. La dissociation est considérée dans la NR comme un principe, un procédé, une technique de rupture ayant “pour but de dissocier, de séparer, de désolidariser, des éléments considérés comme formant un tout ou du moins un ensemble solidaire au sein d’un même système de pensée: la dissociation aura pour effet de modifier pareil système en modifiant certaines des notions qui en constituent des pièces maîtresses” (Perelman & Olbrechts-Tyteca, t. 1er: 256).

Mais il n’y a point de mécanisme argumentatif sans raisonnement qui le sous-tende. Il correspond à la dissociation argumentative, telle qu’elle se révèle dans le discours, un processus de raison consistant à “distinguer, parmi les apparences, dont le statut est équivoque, celles qui ne sont qu’apparence, de celles qui représentent le réel” (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 557). Ce qui est connu directement, l’actuel, l’immédiat, l’apparent, est ainsi distinct de ce qui en est caché, le réel.

Il faudra ainsi opérer une distinction méthodologique: la dissociation sera envisagée en même temps comme processus – essentiellement rationnel et plus difficile à étudier et analyser – et comme résultat de ce processus, se retrouvant comme produit discursif. Au niveau discursif on peut identifier certaines traces du processus de raison, correspondant aux opérations constitutives de celui-ci[4]. Les auteurs de la NR voient la dissociation comme un principe d’organisation du discours, mais ils font entendre aussi qu’elle repose sur des opérations essentiellement intellectives.

D’une manière très simple, on peut dire que l’être humain perçoit le monde à travers ses sens. L’analyse et l’interprétation rationnelles de ces perceptions mène parfois à l’identification de diverses incompatibilités entre les éléments du monde (parmi lesquels on peut inclure, en deuxième lieu, après ceux de la réalité extérieure, ceux du monde intérieur, des idées, des sentiments, des émotions, des jugements). Or, la raison tente de résoudre les incompatibilités en question en procédant à une distinction entre ce qui pourrait être une perception véridique des aspects du monde et une perception apparente, trompeuse.[5] On peut considérer que la dissociation doit être vue d’abord comme processus de raison et, par son rapprochement à l’association, comme principe même de fonctionnement de la raison, pour qu’elle puisse être ensuite abordée comme procédé discursif ou comme technique de construction discursive.

Deux exemples peuvent être pris en compte pour tenter de montrer comment la dissociation fonctionne: celui du bâton partiellement immergé dans l’eau qui nous semble / se montre à nos yeux comme brisé et celui de l’application de la Loi, qui peut être appliquée dans sa lettre ou dans son esprit. On identifie ainsi une incompatibilité: dans le premier cas, il y a incompatibilité entre le plan des perceptions et le plan rationnel (le bâton apparaît comme brisé bien qu’il ne le soit pas), dans le deuxième cas sur le seul plan rationnel, où on tient pour idée reçue celle que la Loi n’est qu’une seule et qu’elle ne peut être appliquée que d’une seule façon (pourtant on peut l’appliquer dans sa lettre ou dans son esprit, de manière différente). D’où, sur le plan rationnel, le souhait de chercher une voie de solution de l’incompatibilité. Or, ce souhait conduit sur le plan rationnel à un effort de distinction entre les aspects d’une même notion qui peuvent être classés en aspects apparents et aspects réels. La figuration ci-dessous est une tentative de présenter les éléments constitutifs d’un processus de nature rationnelle conduisant à l’idée que tout ce que l’on perçoit par les sens peut ne pas être conforme à la réalité.

 

Plan des perceptions

Plan rationnel

Plan discursif

Ex. 1: un bâton partiellement immergé dans l’eau APPARAÎT comme brisé

Ex. 1: ce même bâton EST entier, il n’est pas brisé

 

 

Ex. 2: Il n’y a qu’une seule possible application de la Loi.

Identification d’une incompatibilité

 

 

 

Tous les aspects auxquels on se confronte ne sont pas du même type: il y en a qui peuvent être illusoires / trompeurs.

Souhait de résoudre l’incompatibilité

Distinguer des aspects

Point de départ de la dissociation argumentative

Aspects apparents

Aspects apparents vs Aspects réels

Ce qui apparaît (aux sens ou à la raison) comme réel peut être simplement apparent ou bien réel.

 

Certains aspects perçus par les sens apparaissent comme réels, mais ne le sont pas.

Certains aspects perçus par les sens sont réels.

 

Fondement du couple philosophique

Apparence vs Réalité

Apparence

Réalité

 

Apparence

Réalité

 

Bâton partiellement immergé - brisé

Bâton partiellement immergé - entier

Un bâton partiellement immergé dans l’eau est autre (chose) que le même bâton qui n’est pas immergé dans l’eau.

 

La lettre de la Loi

L’esprit de la Loi

Appliquer la Loi dans sa lettre est autre chose que l’appliquer dans son esprit.

 

3. Opérations rationnelles sous-tendant la dissociation

 

À mon avis, toute approche de la dissociation devrait se fonder sur l’idée qu’à la base de l’activité discursive – conçue comme résultat et «symptôme” de la raison – se trouve un principe de raison. La dissociation en tant que processus rationnel apparaît comme une étape, souvent nécessaire, dans “la conceptualisation rationnelle du monde par les humains” et surtout dans “l’émergence de ce qui compte comme réalité même"[6].

La raison produit ainsi, en vue de la solution des problèmes pratiques, une distinction entre des aspects du monde, appelée, dans les termes de la NR, une dissociation.[7]

Plusieurs questions sont à prendre en compte à partir de ces définitions.

1) On a défini la dissociation comme solution ou tentative de solution d’une incompatibilité entre des éléments du monde. S’il en est ainsi, quelle est la nature de cette incompatibilité? Entre quels éléments du monde peut-il exister une incompatibilité? Une possible réponse peut être mise en rapport avec les divers types de perceptions du monde, dont certaines sont correctes, véridiques, correspondant à la structure du monde, et certaines autres illusoires, apparentes, nous donnant seulement l’apparence du monde et non sa réalité.[8] L’établissement des fameux couples philosophiques[9] est une preuve de l’intérêt pour cette problématique.

2) Quel est le mécanisme intime de la dissociation ? Comment se produit-elle et quelles en sont les étapes ou plutôt les éléments constitutifs? La réponse pourrait être sans intérêt pour l’étude de l’argumentation si on plaçait le mécanisme dissociatif au seul niveau psychologique et / ou cognitif et impossible à donner avec les seuls instruments dont dispose la recherche dans la théorie de l’argumentation.[10] Par contre, si on s’intéresse au mécanisme dissociatif tel qu’il se reflète dans le discours, on pourrait aboutir à des observations profitables au domaine de l’argumentation, par l’étude du dispositif dissociatif identifiable, apte à être reconstruit et analysable au niveau discursif. Fournir un modèle de la dissociation aux niveaux rationnel et discursif serait un enjeu intéressant et il est probable que l’examen des données discursives est d’une quelconque utilité dans ce sens.

La figuration déjà classique proposée par la NR peut être réaménagée afin de mettre en évidence les étapes parcourues (en raison) pour aboutir au résultat de la dissociation. Une posssible schématisation du mécanisme dissociatif est donnée ci-dessous:

Plan des sens

Perception

Identification d’une incompatibilité

Recherche d’une solution

Plan de la raison

APPARENCE

vs RÉALITÉ

Distinction

Séparation

APPARENCE

RÉALITÉ

Plan linguistique

T0 = terme désignant la notion initiale / originale)

Concession

Négation

Acceptation de certains aspects

Rejet de certains aspects

Valorisation discursive (ARGUMENTATIVE)

 

T2 = Modification d’expression / Introduction d’une expression nouvelle pour désigner la notion distinguée de la notion initiale

T1 (= T0) = ancienne notion

T2 = nouvelle notion

La solution pourrait donc être la décomposition de la notion initiale en aspects constitutifs, ce qui permet de ranger les aspects de la notion en deux catégories: aspects apparents et aspects réels. Les catégoriser ainsi revient à juger l’une des catégories comme différente par rapport à l’autre – et ceci, dans une longue tradition philosophique (socio-historique peut-être aussi) – d’un point de vue qualitatif. Ce qui signifie que ce qui est directement connu est inférieur à ce qui est découvert par cette voie analytique. C’est pourquoi on jugera que la catégorie des aspects issue de la dissociation, correspondant à une nouvelle notion et nommée par T2 est à valoriser par rapport à l’ancienne notion qui peut se retrouver sous la désignation ancienne (T0) ou sous une désignation nouvelle (T1). C’est la voie par laquelle on est parvenu à de nouveaux systèmes philosophiques et de nouvelles théories scientifiques (qui sont des systèmes proposant des représentations plus ou moins fidèles, plus ou moins réussies du réel).

Une telle hypothèse pourrait être mise à l’épreuve dans le cas de la notion assez récente de développement durable[11], obtenue par dissociation de la notion de développement à la suite d’une analyse de ses composantes, parmi lesquelles se retrouve, au niveau des conséquences, celle de destruction (de ressources / de l’environnement). Comme cette conséquence ne peut être que nuisible au développement, jugé profitable en soi, on identifie une incompatibilité en termes de buts et conséquences: les buts sont nobles, tandis que, parmi les conséquences non recherchées et souhaitées, il y en a des malheureuses / nuisibles. Procédant à une analyse des problèmes en matière de développement, la comission chargée de la tâche de les définir a mis en évidence qu’il fallait accorder une attention particulière à huit aspects fondamentaux du développement, tel qu’il se présentait à ce moment-là, afin qu’il puisse être durable[12] (angl. sustainable), c’est-à-dire “satisfaire aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de satisfaire aux leurs”[13]. On connaît bien depuis lors la fortune du concept (et du terme qui le désigne) qui a représenté la base d’un nombre impressionnant d’actions sociales, de réglementations juridiques, de manifestations scientifiques. Or, l’existence et l’emploi du terme en question reposent, d’une part, sur la dissociation entre toute forme de développement qui nuirait aux besoins des générations futures et les formes de développement qui préservent (sans donc «compromettre») les possibilités de satisfaction des besoins à l’avenir. L’analyse du contexte discursif permet de déceler la thèse qui sous-tend la définition du terme développement durable, thèse qui serait quelque chose comme Le développement (actuel / tel qu’il se présente de nos jours) compromet la satisfaction des besoins futurs et qui pourrait être vue aussi comme argument en faveur de la thèse Il faut prendre des mesures en vue d’un développement qui ne compromette pas cette satisfaction. La création de la nouvelle représentation, en passe de devenir notion, s’appuie aussi sur une expression linguistique élégante, qui a le mérite de conserver l’ancien mot simplement déterminé par un adjectif; cette expression révèle aussi pour qui veut le voir que le développement jusqu’au moment en question était en fait non durable, ou du moins n’était pas tout à fait durable. En fait, la création de la nouvelle notion s’appuie aussi sur une association avec le champ notionnel auquel appartient durable; durabilité veut dire aussi “permanence, perennité, persistance”[14], durable est aussi ce “qui se conserve”. L’incompatibilité résolue dans ce cas est entre la représentation d’un développement qui est nécessairement consommateur de ressources et destructeur de l’équilibre de certains systèmes et la représentation des conséquences de ce développement, nuisibles aux générations futures. La dissociation dans ce cas permet de représenter le développement – processus inévitable, mais aussi action volontaire – comme dissociable en deux éléments: le développement en soi, comme processus et action, et les résultats du développement, qui sont recherchés pour leur caractère profitable – en d’autres mots, le développement comme processus n’est qu’une apparence, ce qui est important pour l’homme en sont les conséquences. Ce qui, en couples philosophiques revient à être traité de la manière suivante:

développement

processus (moyen)

 

 

conséquences (fin)

incompatibilité

conséquences nuisibles

 

conséquences bénéfiques

Ce qui est important, ce sont les fins, car c’est en vertu des fins poursuivies que s’effectue toute action. Or, c’est à ce niveau que l’on constate une incompatibilité: tout ce qui résulte du développement n’est pas nécessairement profitable, il y a donc conséquences bénéfiques et conséquences nuisibles. Ce constat entraîne une reconsidération de l’élément valorisé, les conséquences, qui ne peuvent plus être valorisées si elles ne sont pas totalement bénéfiques. Ce qui aura comme résultat le renversement du couple par la valorisation du processus en lui-même, car c’est la voie qui mène aux conséquences en question, bénéfiques et nuisibles[15]. L’élément processus est valorisé dans le sens qu’on lui donne une autre importance, qui permet de le considérer sous tous ses aspects qui se révèlent aussi incompatibles en raison du fait qu’il se fait à la fois de manière adéquate et inadéquate. La distinction pourra se faire de la manière suivante:

développement

conséquences

(fin)

 

 

processus (moyen)

incompatibilité

Inadéquation à la préservation des ressources

 

Adéquation à la préservation des ressources

Cette nouvelle représentation permet de mettre en valeur non pas les conséquences en elles-mêmes, non pas le processus en lui-même, mais l’adéquation du processus à la préservation des ressources, ce qui montre la nécessité des réglementations juridiques dans ce sens. Avec quoi change aussi la représentation du concept de développement qui devient, de ce fait, durable (adéquat à la préservation des ressources). Mais, on le voit bien, le mécanisme dissociatif repose en dernière instance, du moins dans ce cas, semble-t-il, sur le principe d’association, par l’infusion ou l’adjonction à la notion de développement désignée maintenant du nom de développement durable, d’aspects notionnels du domaine de la préservation des ressources. Tout développement qui n’est pas associé à une préservation des ressources se voit ainsi accorder le statut de terme I (T1) et, de ce fait, dévalorisé, rejeté, banni – et aussi sous l’incidence de la loi.

Une hypothèse que l’on pourrait faire quant au processus de dissociation est qu’il comporte les opérations suivantes, que j’appellerai des éléments constitutifs de la dissociation:

1)      saisie de l’incompatibilité affectant un concept, une notion, une représentation du monde / de la confusion reliée à celui/celle-ci ou à l’emploi d’un terme (les situations sont assez différentes);

2)      distinction entre des aspects complémentaires mais contradictoires;

3)      séparation de ces aspects en deux classes complémentaires dans la représentation de la notion initiale;

4)      concession / acceptation des deux classes d’aspects, compatibles et incompatibles avec la représentation de la notion initiale;

5)      dé-construction de la représentation de la notion initiale en deux représentations qui ne s’excluent pas l’une l’autre et qui correspondent à deux notions différentes, dont l’une est soit la notion initiale – vieillie, desuète en quelque sorte, puisqu’elle repose sur et renferme une incompatibilité –, soit la notion initiale  dépourvue d’une partie des aspects qui la rendent contradictoire;

6)      non-acceptation / rejet des aspects problématiques;

7)      re-structuration des éléments composants issus de l’ancienne représentation, en deux opérations: construction d’une nouvelle[16] (dans le sens d’«originale»), en parallèle avec la récupération des éléments restants et leur re-construction dans un ensemble qui correspond à la représentation démolie, démunie d’une partie de ses composantes[17];

8)      modification terminologique / désignation(s) nouvelle(s);

9)      valorisation de la nouvelle représentation;

10)  normativité de T2 (= critère, norme).

Cette description mécanique et sommaire du processus a la qualité de fournir une possible modélisation des opérations constitutives de la dissociation. Elle est de nature à mettre en évidence le fait que l’ancienne représentation est dépourvue des éléments qui lui donnaient l’essence même, ces éléments étant infusés dans la nouvelle représentation, à l’exclusion de ceux qui ne sont pas jugés qualitativement supérieurs. Dans cette hypothèse, il n’est pas sans importance que l’ancienne représentation est re-construite de “restes, tandis que la nouvelle est au contraire délestée des caractères ou aspects jugés insignifiants, incompatibles, nuisibles à son essence et à l’argumentation. C’est pourquoi la nouvelle représentation est plus puissante et peut être plus aisément valorisée (maintien dans la nouvelle représentation des aspects qualitativement supérieurs).

Si l’on s’en tient au couple prototypique Apparence / Réalité, le mécanisme dissociatif  peut agir toutes les fois qu’une incompatibilité entre des aspects du monde est identifiée ou seulement invoquée. Largement pratiquée dans une grande variété de discours, la dissociation est évidente chez Aristote, par exemple, quand il parle de la nécessité de distinguer entre des raisonnements corrects ou valides et ceux qui en ont l’air mais ne le sont guère[18].

Pour en revenir aux termes de dé-construction, construction et re-construction utilisés ci-dessus, il est lieu de se rapporter aussi à quelques remarques de la NR qui vont dans le même sens ou qui viennent soutenir cette idée. Les deux auteurs attirent l’attention sur le fait qu’une “notion qui devient terme I n’est plus ce qu’elle était lorsque nous la connaissions comme terme II, un terme ne pouvant se concevoir que dans son rapport avec l’autre terme du couple” (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 570). De même, l’idée de “remaniement plus ou moins profond des données conceptuelles” (idem: 551) comme processus sous-tendant la dissociation soutient la conception du mécanisme dissociatif comme instance de dé-construction et de construction / re-construction des notions[19]. D’autre part, il faut souligner que T2 ainsi représenté devient un critère, une norme, contribue à l’insitution d’une règle de hiérarchisation des aspects que comporte T1.[20] Aborder les choses de cette façon consiste aussi à poser le problème suivant, qui ne semble pas abordé dans la littérature sur la dissociation[21]: est-ce que la construction de la notion comme T2, c’est-à-dire comme représentation nouvelle, n’est pas à même de déclencher aussi un mécanisme associatif? S’il en était ainsi (ce qui semble tout à fait probable et pourrait se révéler lors d’une étude empirique des discours), alors on pourrait expliquer pourquoi la représentation issue de la dissociation, nouvellement créée, arrive à être valorisée argumentativement: on ne fait pas que de distinguer et séparer des éléments appartenant à l’origine à une seule représentation, unitaire et cohérente, mais on associe certains éléments ainsi distingués et séparés à d’autres ou on leur associe de nouveaux éléments.

 

4. Actualisations linguistiques des opérations rationnelles / éléments constitutifs de la dissociation

 

Les extraits qui suivent sont des reflets dans le discours des opérations rationnelles qui sous-tendent la dissociation, préparant le champ et ouvrant la voie à une argumentation qui sera apte à valoriser une nouvelle notion re-construite au sein d’un système conceptuel déjà existent. Les indices discursifs ou les traces discursives mettent en évidence soit la notion nouvelle, originale, dissociée de l’ancienne, re-construite en vue d’une valorisation argumentative, soit la notion ancienne, pour la constraster avec la notion originale.

4.1. Saisie de l’incompatibilité – La saisie d’une incompatibilité entre les aspects d’une notion peut se révéler dans le discours par des indices de plusieurs natures[22]:

a) indices morpho-syntaxiques – sur-détermination du nom désignant la nouvelle notion par un élément anaphorique (démonstratif) ou indéfini (interro-relatif):

( 1. )[23]

sujet: Tout dépend de quel jeux on parle

auteur: clyde70 -  jeudi 16 juin 2005 11:36

Paris a besoin des jeux Symbole d’union entre les peuples de fraternité ...  des jeux qui respectent l’environnement .. des jeux «propres» ou on est pas prêt a tout pour une course a la medaille .. […] Ces jeux la Paris en as besoin je pense ...  mais est ce vraiment ces jeux la que nous allons peut être gagné le 6 juillet ??. j’en doute...

(Discussion autour de la candidature de Paris à l’organisation des Jeux Olympiques de 2012 – avant le vote final sur la candidature, forum Internet archivé du journal Libération, intitulé Paris a-t-il besoin des Jeux Olympiques ? - http://www.liberation.fr/forums/forum.php?Forum=469)

( 2. )

À cette idée de la sociologie comme science de tout ce qui est humain en général, contribuait le fait qu’elle était une science nouvelle et que par conséquent tous les problèmes imaginables que l’on ne savait pas bien ranger ailleurs se pressaient vers elle (…)

(Georg SIMMEL 1908 [1992] (1999). Sociologie. Étude sur les formes de la socialisation. Paris: PUF. Ch. I - Le problème de la sociologie [Réfutation de la définition de la sociologie comme science de tout ce qui est humain]: [15-16] 40-41. Le texte des intertitres, en italiques entre crochets est établi par L. Deroche-Gurcel, aussi traducteur des chapitres 8 à 10; les chiffres entre crochets correspondent à la pagination de l’édition allemande de 1992. Les italiques appartiennent à l’auteur.)

b) indices lexico-sémantiques – la notion dont les aspects constitutifs se présentent comme incompatibles est déterminée par un adjectif qualificatif qui explicite la saisie de l’incompatibilité ou présentée, par le biais d’un nom, comme ayant un contenu incertain:

( 3. )

C’est dans cette situation que se trouve la tentative entreprise ici de donner au concept hésitant de la sociologie un contenu sans ambiguïté, régi par une problématique, aux bases méthodologiques sûres.

(SIMMEL, Avant-propos: 37. Les italiques appartiennent à l’auteur.)

Les adjectifs «hésitant” et «sûres», mis en opposition, et le nom «ambiguïté» sensibilisent l’interlocuteur en vue de la dissociation: le concept de sociologie n’a pas de représentation précise ou elle oscille. Les expressions «sans ambiguïté», «une problématique», «bases méthodologiques sûres» mettent en évidence la nécessité de préciser le contenu du concept. En même temps, elles sensibilisent l’interlocuteur quant au but du texte. Tout ce que l’on souhaite dans un tel texte est de rendre transparente l’intentionalité de l’auteur.

( 4. )

Cela signifie seulement qu’on met ensemble dans un même sac toutes les sciences historiques, psychologiques et normatives, qu’on remue le tout et qu’on lui colle l’étiquette: sociologie.

(SIMMEL, 40-41)

L’idée de confusion, sans être explicitée, est équivalente avec la «mise ensemble, dans un même sac”, des aspects considérés comme incompatibles au sein d’une même notion. D’ailleurs, le souhait de transparence, d’explicitation du caractère argumentatif des propos qui reposent sur le mécanisme dissociatif est aussi mis en évidence par l’attention que porte le responsable de l’édition à la synthèse dans les intertitres de l’intention et des sous-intentions communicatives de l’auteur: «réfutation», «définition», etc.

c) prédéterminant / article indéfini utilisé dans le sens de «unique»; l’article indéfini a ici valeur d’individualisation, annonçant la dissociation: une par rapport aux multiples problématiques qui caractérisaient la sociologie; unique puisque distincte des autres qui du coup en seront éliminées, v. exemple (3. ) ci-dessus;

d) prédéterminant / article défini, pour marquer la confusion en une seule de plusieurs notions qui devraient être distinguées:

( 5. )

Pareto a remarqué que c’est souvent abusivement que l’on parle au singulier de «la pensée» d’un auteur. Cela est particulièrement vrai des grands auteurs et notamment de lui.

(BOUDON 1999. L’actualité de la distinction parétienne entre «actions logiques» et  «actions non logiques»: 35. In Pareto aujourd’hui, sous la dir. de Alban Bouvier: 35-70. Paris: PUF.)

e) adverbes caractérisant la manière de s’exprimer de quelqu’un, tel abusivement dans l’exemple ci-dessus.

4.2. Distinction entre des aspects complémentaires mais contradictoires au sein de la même notion – L’explicitation de la nécessité de distinguer entre des aspects complémentaires mais contradictoires d’une même notion qui posent en question le statut même de la notion se fait par des verbes comme distinguer, dissocier et les noms correspondants (distinction, dissociation, différence) ou par des noms implicitant les idées de distinction, opposition, contradiction:

( 6. )

Derrière le marché au fleurs, meilleures glaces de l’île. Je dis bien ‘‘glace’’ ke je dissocie des célèbres sorbets coco k’on trouve dans tous les coins de rue et carrefour de routes

(http://archives.volcreole.com/phpBB21/sujet-3692-0.html)

( 7. )

Il faut dissocier la notion de patrimoine culturel au sens large et la notion de patrimoine culturel telle que le droit l’identifie, dont il choisit d’assurer la protection au nom d’un intérêt historique, artistique, esthétique, etc.

(http://www.educnet.education.fr/juri/culture/notion.htm)

( 8. )

 Je fais une dissociation entre Le féminisme et Les combats pour Les droits des femmes Selon moi Le féminisme est un mouvement de femmes frustrées (…)

(www.bladi.net/modules/newbb/page-47127-7-10.html)

( 9. )

je distingue entre le souverain bien, qui consiste en l’exercice de la vertu, ou, ce qui est le même, en la possession de tous les biens dont l’acquisition dépend de notre libre arbitre, et la satisfaction d’esprit qui suit de cette acquisition. C’est pourquoi, voyant que c’est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu’elle soit à notre désavantage, que l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance.

(Descartes, Lettre à Élisabeth, 6 oct. 1645 – http://www.textesphilo.com/textes/imaginations.html)

( 10. )

Dans un article datant de quelques années, j’avais insisté sur la tension que je croyais percevoir entre un Pareto exotérique, que j’ai choisi d’envisager principalement dans les pages qui suivent, et un Pareto ésotérique dont la théorie des dérivations me paraissait contedire la théorie des sentiments et des résidus. (…) Sa théorie exotérique est d’une importance particulière (…)

(BOUDON, 35)

Dans les extraits ci-dessus on constate que les locuteurs ordinaires ont recours à l’explicitation d’une nécessité de séparer entre des aspects que l’on peut aisément confondre en une seule notion. C’est ce que l’on pourrait appeler une dissociation explicite. En outre, dans la démarche intellectuelle, scientifique, qui vise l’éclaircissement du contenu des notions, cette tentative de séparer les aspects complémentaires de la notion est considérée comme constitutive de la démarche méthodologique. D’autre part, cette opération constitutive de la dissociation se superpose à celle de séparation des aspects constitutifs en deux classes complémentaires (v. 4.3. ci-dessous) et à celle de désignation des notions qui résultent au terme du mécanisme dissociatif.

4.3. Séparation des aspects constitutifs en deux classes complémentaires – Les exemples ci-dessus illustrent, par la désignation des classes issues de la distinction, une quête de réorganisation du contenu initial de la notion, dont les aspects ne peuvent plus être vus comme solidaires. Cette séparation est décelable essentiellement par la désignation des classes séparées, qui renferment chacune des aspects initialement présents dans la notion, mais qui sont re-construits par une réorganisation en classes distinctes. Tel est le cas dans l’extrait suivant:

( 11. )

A: Vous êtes passée par le théâtre de la Main d’or, partagez-vous les idées de Dieudonné, propriétaire des lieux ?

B: Je dissocie vraiment le comédien de l’homme politique qui se met en scène. Je n’ai rien à dire par rapport à l’homme politique, parce que ça ne m’intéresse pas. Il a ses idées, qui ne sont pas forcément les miennes. Il a le droit de s’exprimer, mais je pense que dans ce métier là, il est très important d’être précis et de savoir quelle casquette on porte à quel moment. Côté professionnel, Dieudonné est pour moi le meilleur comédien en One man show depuis Coluche. J’ai suivi ses cours par rapport à ce qu’il donnait dans ses spectacles et à par rapport à son écriture très acide, qui me fait penser à la manière dont j’écris. C’est l’homme qui m’a donné envie de passer sur scène.

(http://www.afrik.com/article8649.html)

Dans la plupart des situations on peut constater, comme dans l’exemple ci-dessus, que le discours vise celle des classes qui sera valorisée argumentativement comme nouvelle notion (le comédien), dissociée de la notion initiale (T0 = Dieudonné), avec un intérêt moindre ou inexistent pour l’ancienne notion (Dieudonné) ou pour celle qui ne présente pas d’importance pour la démarche argumentative (T1 = l’homme politique). La mise en discours de cette opération constitutive de la dissociation est importante parce que, d’habitude, elle se confond à celle de désignation (T2) de la nouvelle notion et, éventuellement de l’ancienne (T1).

4.4. Concession / acceptation des deux classes d’aspects, compatibles et incompatibles avec la représentation de la notion initiale – Les deux classes d’aspects sont vues comme existant en parallèle; l’une sera valorisée dans la démarche argumentative, l’autre, sans être détruite ou annulée, jouera simplement un rôle de repère. On le voit bien dans l’exemple précédent, où la représentation «conceptuelle” correspondant à Dieudonné n’exclut pas les deux facettes du personnage en question. Les indices linguistiques sont généralement fournis par la désignation des deux classes par des «étiquettes» qui seront reprises / utilisées dans le discours.

4.5. Dé-construction de la représentation de la notion originale – Les deux classes d’aspects ainsi distinguées sont détachées l’une par rapport à l’autre, de sorte que l’ancienne notion ne peut plus se concevoir comme identique à elle-même: elle doit être rapportée aux deux ensembles d’aspects différents qui, antérieurement à la dissociation, la structuraient de façon uniforme et égale et elle doit être nécessairement représentée comme un pendant obligatoire d’une nouvelle notion qui n’existait pas avant la dissociation:

( 12. )

Après avoir reconnu qu’il est des races fortes et qu’il en est de faibles, je me suis attaché à observer de préférence les premières, à démêler leurs aptitudes, et surtout à remonter la chaîne de leurs généalogies.

(Arthur de GOBINEAU 1853-1855 (1967). Essai sur l’inégalité des races humaines: 30. Paris: Pierre Belfond.)

La notion de race a été déconstruite, de manière à permettre la structuration de deux nouvelles notions qui ne la nient pas, mais dont l’existence conceptuelle ne permet plus – dans le cadre discursif – d’ignorer que les races fortes se repèrent par rapport aux races faibles, et que, d’autre part, la notion même de race comporte, en quelque sorte, des «degrés». Les indices linguistiques, comme l’indiquent les cas précédents, sont de nature adjectivale ou nominale.

4.6. Non-acceptation / rejet des aspects problématiques – De par la constitution d’un nouveau cadre conceptuel et la mise en place de deux sous-systèmes notionnels différents, le processus de dissociation permet de rejeter l’une des deux classes d’aspects dans une zone de moindre intérêt argumentatif, de la placer dans un champ qui n’a rien à faire avec la notion importante pour l’argumentation. Toute une série d’aspects qui étaient – de manière plus ou moins évidente – perçus comme constitutifs de la notion initiale sont niés et écartés par le biais:

a) des marqueurs négatifs – la forme négative de l’énoncé est apte par elle-même d’introduire une dissociation implicite, peut-être la plus difficile à repérer par l’interlocuteur, qui peut ne pas la remarquer:

( 13. )

Relisez ces propos «émis” par son excellence [le Président Băsescu] à Paris. “Nous n’acceptons plus l’emploi de l’étiquette discrétionnaire, parce que ce n’est plus une réalité”. Ce «plus” le démasque. C’est-à-dire la Roumanie “a été” un pays corrompu, mais “maintenant” il ne l’est plus. Quand l’a-t-il été? Mais bien sûr, avant son avènement, et il ne l’est plus depuis qu’il exerce la fonction de chef de l’État.[24]

(Valentin Stănilă, “Evaluare fără complezenţă", quotidien Azi, 3910, 25 nov. 2005, ma traduction)

( 14. )

des jeux gagné loyallement par apport aux autres villes et non pas «achetés » par le biais de subtile manoeuvre de couloir et de pots de vins ou de petits cadeaux versés aux membres du CIO comme un reportage de la BBC l’a recemment démontré ... des jeux ou l’argent roi ne va pas tout écrasé au profit des grandes multinationales principale sponsor des jeux ... (…) des jeux qui ne vont pas brisé des milliers de gosses sacrifiés pour des medailles ...

(forum Internet Libération, Paris a-t-il besoin des Jeux Olympiques ?)

b) des connecteurs d’opposition (mais, cependant, en revanche, alors que, pourtant, en dépit de, néanmoins) permettant de mettre en évidence qu’une reconsidération des faits s’impose:

( 15. )

Je ne m’attache pas au CV, le CV étant pour moi une sorte de piège dans le sens où il est chronologique, comme si la dernière expérience était l’aboutissement de l’ensemble des compétences et du savoir-être. Alors que c’est l’ensemble du parcours professionnel, avec des petits bouts à droite et à gauche qui font les compétences du futur métier de cet individu.

(http://www.mareussite.com/rub1p22.asp?navi=ie&boum=29&flecho=6)

4.7. Re-structuration des éléments composants – Cette opération correspond, du point de vue linguistique, à des opérations de définition, ayant comme fin un éclaircissement notionnel qui vise surtout la nouvelle notion qui sera valorisée dans l’argumentation:

( 16. )

Je pratique et j’enseigne le métier d’éditeur. (…) Je m’en tiendrai ici au bref commentaire d’un théorème qu’il convient, me semble-t-il, de rappeler par priorité aux auteurs: l’éditeur est celui qui prend le risque de publier (ce que je dissocie, pour la clarté du propos, de l’acte d’éditer – activité située en amont de la publication, qui consiste à mettre au point le contenu éditorial de ce qui sera imprimé puis diffusé au public, c’est-à-dire publié). Le risque est, pour partie, moral et juridique; pour sa plus large part, il est économique et financier.

(http://blog-dominique.autie.intexte.net/blogs/index.php/all/2005/11/07/le_pouvoir_d_editer)

( 17. )

A: Comment définiriez-vous alors votre musique ?

B: On ne peut pas parler de raï. Je définirais ce que je fais comme de la Magh-oc musique. Une musique à la fois maghrébine et occidentale. Parce que je suis entre les deux cultures, il est normal que je sois influencé par chacune.

(http://www.afrik.com/article363.html)

4.8. Modification terminologique / Nouvelle désignation / EtiquetteLes exemples fournis ci-dessus sont illustratifs des procédés linguistiques de dénomination des notions issues de la dissociation. Les déterminations syntaxiques de nature adjectivale sont les plus typiques, tandis que les adjectifs « vrai », « véritable » peuvent être associés au terme désignant l’ancienne notion pour indiquer qu’il s’agit d’une nouvelle acception du terme et, en même temps, d’une réorganisation conceptuelle:

( 18. )

A: [mais la vraie question]… c’est de savoir si les Jeux ont besoin de Paris

B: Voilà effectivement la vrai question …

(forum Internet Libération, Paris a-t-il besoin des Jeux Olympiques ?)

( 19. )

Paris doit-elle devenir la capitale des Jeux du déséquilibre si visible entre misère et richesse? la capitale du gaspillage olympique?

(Manifeste du Collectif Anti Jeux Olympiques - http://1libertaire.free.fr/Cajo01.html)

On peut ajouter à ces procédés de désignation la création lexicale et l’emprunt. Les nouvelles désignations serviront – du moins dans le contexte argumentatif restreint – comme fondant la norme et correspondant à des contenus notionnels qui pourront être par la suite adoptés indéfiniment par des interlocuteurs / auditoires différents et de plus en plus larges.

 

5. Remarques finales

 

Sans prétentions d’exhaustivité, cet inventaire d’indices linguistiques permet non seulement de retracer le parcours dissociatif, mais aussi de révéler les possibilités qu’ont les locuteurs à leur disposition pour mettre en place des dissociations implicites, plus difficiles à repérer dans la plupart des contextes. L’intérêt de l’étude de la dissociation est représenté par le fait qu’une argumentation reposant sur des dissociations explicites, dont l’auditoire ou l’intellocuteur-opposant est au courant de par la tentative d’explicitation de la part du locuteur, est apte à se situer dans des cadres dialectiques. Bien au contraire, les dissociations implicites, assez courantes dans la conversation ordinaire comme dans le discours politique, sont au profit des stratégies rhétoriques, se rapprochant de près des techniques définitionnelles de nature persuasive. Par la transformation proposée, suggérée, explicitée du contenu des notions, la dissociation modifie les points de départ acceptés par les participants à un échange argumentatif. D’où l’importance d’une étude plus poussée des traces que le mécanisme en question laisse dans le discours en vue d’une meilleure identification des procédés de manipulation  par le biais du discours, au déploiement desquels la dissociation participe souvent.

 

Bibliographie de référence

 

Aomi, J. (1985). Persuasive Definitions in Social Sciences and Social Thought. In E. Bulygin, J.L. Gardies, I. Niiniluoto (éds.), Man, Law and Modern Forms of Life: 187-190. Dordrecht: Reidel.

Crosswhite, James (2004). Rhetoric in the Wilderness: The Deep Rhetoric of The Late Twentieth Century. In W. Jost & W. Olmsted (eds), Companion to Rhetoric and Rhetorical Criticism: 372-388. Malden, MA / Oxford, UK: Blackwell Publishing.

Eemeren, Frans H. van, Rob Grootendorst, Franciska Snoeck Henkemans (eds) (1996). Fundamentals of Argumentation Theory. A Handbook of Historical Backgrounds and Contemporary Developments. Mahwah, NJ:  Lawrence Erlbaum Associates, Publishers.

Garssen, Bart (2003). Argument Schemes. In F. H. van Eemeren (ed.), Crucial Concepts in Argumentation Theory: 81-99. Amsterdam: Amsterdam University Press.

Gâţă, Anca (2005). La technique argumentative de dissociation: développements récents et applications, 15 décembre, Communication dans le cadre de l’Atelier Argumentation, Laboratoire CNRS "Communication et Politique", Paris.

Gâţă Anca (2006). Dissociation as a way of Strategic Manoeuvring, Communication dans le cadre de la Sixième Conférence de la Société Internationale pour l’Étude de l’Argumentation, ISSA, Amsterdam.

Goodwin, David (1991). Distinction, Argumentation, and the Rhetorical Construction of the Real. In Argumentation and Advocacy, 27: 141-158.

Grootendorst, Rob (1999). Innocence by Dissociation. A Pragma-Dialectic Analysis of the Fallacy of Incorrect Dissociation in the Vatican Document ‘We Remember: A Reflection on the Shoah’. In Proceedings of the Fourth International Conference of the International Society for the Study of Argumentation: 286-289. Amsterdam: Sic Sat.

Perelman, Chaïm & Lucie Olbrechts-Tyteca (1958). La Nouvelle Rétorique. Traité de l’argumentation, tomes 1 et 2. Paris: Presses Universitaires de France.

Rees, M. Agnes van (2002). Argumentative functions of dissociation in everyday discussions, in H.V. Hansen et al. (eds), Argumentation and its applications, Proceedings of the Fifth OSSA Conference.

Rees, M. Agnes van, (2003). Indicators of Dissociation, in Frans H. van Eemeren et al. (eds), Proceedings of the Fifth Conference of the International Society for the Study of Argumentation: 887-892. Amsterdam: Sic Sat.

Rees, M. Agnes van (2005a). Dialectical Soundness of Dissociation. In D. Hitchcock (éd.), The Uses of Argument, proceedings of a conference at McMaster University, 18-25 May 2005: 383-392. Ontario Society for the Study of Argumentation.

Rees, M. Agnes van (2005b). Dissociation: a Dialogue Technique. In Studies in Communication Sciences, “Argumentation in Dialogic Interaction", Special Issue: 35-50.

Schiappa, Edward (1985). Dissociation in the Arguments of Rhetorical Theory. In Journal of the American Forensics Association, 22: 72-82.



[1] “Distinction is the heart of all argumentation." (Goodwin 1991: 143)

[2] On utilise l’acronyme NR pour la référence à La Nouvelle rhétorique, Perelman et Olbrechts-Tyteca 1958.

[3] “The process of generating philosophical pairs is an essential event in the rational conceptualization of the world of human beings and even in the coming to presence of what counts as reality itself. (les expressions sont de Crosswhite 2004: 376).

[4] L’effet de la dissociation est de modifier un système de pensée qu’elle prend pour objet de son action “en modifiant certaines des notions qui en constituent des pièces maîtresses”; les pensées philosophiques originales sont le résultat d’un processus de dissociation. (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 1er: 256)

[5] Cf. Crosswhite 2004: 376.

[6] Les expressions sont de Crosswhite 2004: 376, v. note précédente .

[7] Cf. aussi: “In order to solve practical problems, reason produces what La Nouvelle rhétorique calls a dissociation”. (Crosswhite 2004: 376) On peut aisément remarquer ainsi que la dissociation n’est pas définie comme appartenant à un genus. On envisagera néanmoins qu’en rhétorique le mot dissociation est utilisé comme terme appartenant à un vocabulaire spécialisé.

[8] Je trouve pourtant difficile de dire, malgré la remarque de Crosswhite citée ci-dessus , que les perceptions sont apparentes et / ou véridiques. Ce sont plutôt les représentations que l’on construit de la réalité sur la base de ces perceptions qui sont véridiques ou apparentes, c’est à dire en plus ou moins grande conformité avec l’image du réel).

[9] Pour une présentation détaillée, v. Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 561-574.

[10] On peut toutefois poser que certaines actions humaines reposent – sans discursivité aucune – sur un principe de dissociation: une mère ou un père peut arriver à frapper son enfant pour diverses raisons, tout en faisant ce geste sur la base d’une dissociation / distinction entre la propriété que l’individu «objet de la violence» possède sur la base de relation de parenté et une nouvelle propriété identifiée par le parent chez son enfant, celle de personne qui agit contre certaines normes sociales, familiales ou d’autre nature. Ce qui peut se soutenir par bien des exemples où nos comportements sont justifiés par des dissociations non nécessairement verbalisées.

[11] Le terme sustainable development a été mis en circulation par la Comission Internationale d’Environnement et de Développement (WCED) en 1987 dans un rapport intitulé “Notre Avenir Commun”, élaboré sur la base de débats publiques et de l’examen de pétitions écrites sur un intervalle de trois ans.

[12] Cette détermination attire l’attention sur le fait que le développement n’était pas «durable». Comme on le verra plus loin, déterminer un substantif désignant un concept ou une notion par un adjectif est une manière implicite de dire que le concept en question ne possédait pas la qualité désignée par l’adjectif; de ce fait, l’adjectif en question a une force particulière de rattacher le concept (par association) à un autre concept ou domaine: tel est le cas du crime passionnel qui serait moins un crime que les crimes, en général. À l’inverse, l’expression développement durable consistera à impliciter que le développement n’est pas durable, c’est-à-dire il est nuisible aux ressources dont auront besoin les générations futures.

[13] Cf. What is sustainable development?, page web de l’UNESCO, http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=3994&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html [trad. de l’angl. A.G.].

[14] Trésor de la Langue Française Informatisé, http://atilf.atilf.fr/tlf.htm.

[15] En fait, les conséquences sont bénéfiques à court et moyen terme, mais nuisibles à long terme, d’où l’incompatibilité en question.

[16] Le terme II (T2) “n’est pas simplement un donné, mais une construction qui détermine, lors de la dissociation du terme I, une règle qui permet d’en hiérarchiser les multiples aspects, en qualifiant d’illusoires, d’erronés, d’apparents, dans le sens disqualifiant de ce mot, ceux qui ne sont pas conformes à cette règle que fournit le réel.” (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 557)

[17] Cf. aussi “Dissociations construct or maintain the real. They construct the real by postulating a principle against which conflicting claims can be judged, and, in this way, help to resolve the impasse created by incompatibilities.” (Goodwin 1991: 150); “a distinction has the power to reconstruct notions of «the real»” (Goodwin 1991: 141); “Through the power of dissociation, distinctions construct reality during a dialectical exchange. ” (Goodwin 1991: 151)

[18] Réfutations sophistiques, 1ère et 6ème parties.

[19] Les notions sont “dissociées et restructurées (Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 555).

[20] Cf. Perelman & Olbrechts-Tyteca 1958, t. 2ème: 557.

[21] Il s’agit de la littérature que j’ai consultée jusqu’à présent et dont une partie est indiquée dans la bibliographie.

[22] Les caractères gras sont utilisés pour mettre en évidence les indices linguistiques des éléments constitutifs de la dissociation, vus comme opérations rationnelles qui la sous-tendent.

[23] Pour tous les exemples puisés aux forums électroniques on a conservé l’orthographe originale.

[24] Recitiţi aceste cuvinte pe care le-a “emis" domnia sa la Paris. Nu mai acceptăm utilizarea etichetei discreţionare , pentru că aceasta nu mai este o realitate". Acel “mai"îl dă de gol. Adică, “a fost" o ţară coruptă, dar “acum" nu mai este. Când a fost? Evident, înainte de înscăunarea sa şi nu mai este de când exercită funcţia de şef al statului.

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